Les voûtes

Ce sont indéniablement les voûtes qui attirent le plus l’attention. Morceaux de choix, presque de bravoure. Car elles sont particulières, immanquables. Leur système rompt en effet avec la formule, pour lors usuelle dans nos églises baroques, de la couverture sur nervures d’ogives, qu’avait inaugurée Jacques Francart à Bruxelles. Il juxtapose d’approximatives voûtes d’arêtes sur les bas-côtés et un rare berceau en plein cintre, échancré de lunettes latérales, sur le grand vaisseau. Il restera presque exceptionnel chez nous.
Mais ce système est-il bien le fait du frère Huyssens? Oui, plus que probablement, quoi qu’on ait pu dire d’un éventuel projet de voûtes d’ogives, fondé sur une interprétation conjuguée du contexte difficile du chantier et de certains traits architecturaux de la bâtisse. Car Huyssens prévoit le même mode de couverture à Bruges en 1619, deux ans avant Namur, et dès avant que son périple romain ne puisse l’influencer sur ce point. Du reste, à partir de 1625, il est quasiment interdit de construction dans la Compagnie. Sans doute les difficultés financières du chantier autour de 1639 peuvent-elles un peu différer la bonne exécution de la couverture. Il n’empêche que la grande voûte est bel et bien terminée quatre ans plus tard, à l’abri de la charpente montée en 1641 (millésime incisé). Détail intéressant, bien que non inédit et non exclusif à Namur : invisible du dedans, un double jeu de robustes ancres métalliques triangule les superstructures. Les fers arriment les arcs doubleaux de la voûte aux sommiers principaux de la charpente, en traversant obliquement les voûtains, pour aller se noyer dans la maçonnerie des contreforts extérieurs.

Si pas « unique au monde » (J.H. Plantenga), la grande voûte unifie superbement l’espace principal jusqu’au fond du chœur. Elle fascine par son décor opulent qui, comme dans les bas-côtés, a été sculpté ou du moins fini sur les pierres en place, par une équipe d’artisans namurois et étrangers. Elle resplendit d’une chaleureuse luminosité au-dessus des valeurs plus sourdes de ses supports et des basses-nefs. Contrastes en clair-obscur, bien dans la sensualité baroque. La décoration des voûtes s’avère homogène à travers toutes les travées. Elle associe sur l’axe des cartouches ou tablettes, à la façon de Francart (1622), et partout une profusion étonnante de motifs à dominante naturaliste (fruits, fleurs, légumes, feuilles d’arbre). La répartition transversale des thèmes est symétrique d’un collatéral à l’autre. Seul le sanctuaire échappe un peu à cette mise en page générale du fait de son cul de four terminal.

De surcroît, il n’est pas exclu d’imaginer que les « miroirs » des grands cartouches centraux, aujourd’hui nus et tristement vides, n’aient porté quelque dorure, pour répondre aux éclats des colonnes et des sols, des meubles et des toiles, en un mot pour parfaire l’ambiance somptueuse du temple baroque tout entier. Comme à Saint-Charles d’Anvers (avant l’incendie de 1718). Et n’en déplaise aux idéaux en théorie beaucoup plus austères et restrictifs des autorités de la Compagnie … qui, là-dessus du moins, ne semblent guère entendus ici.

Car rien n’est plus trop beau désormais pour rendre gloire dans ce « théâtre sacré » de l’église et pour y proclamer par tous les moyens une Contre-Réforme triomphante dont nos jésuites comptent alors parmi les meilleurs propagandistes.

 

Extrait de : « Olivier BERCKMANS et Luc Francis GENICOT, l’église St-Loup et l’athénée royal de Namur. L’ancienne église Saint-Ignace et le collège des jésuites, éd. Ville de Namur, Namur, s.d. (vers 2001).