Le chœur et ses marbres : vrais ou faux ?
La composition baroque du chœur a associé subtilement vrai et faux marbre. Ainsi, l’espace liturgique proprement dit est orné de plaques de marbre rouge, veiné de blanc et gris, et de marbre noir. Dans cette continuité, la « toile de fond » de l’autel principal, quant à elle, est traitée en faux marbre rouge panneauté, en parfaite illusion. Ce travail est vraisemblablement d’origine vu sa facture assez libre et « sommaire », contrairement aux pratiques du XIXe siècle, beaucoup plus « léchées ».
En 1992, lors de la préparation de la 6è phase des travaux, l’intention était bien de maintenir ce travail ancien, même si, par la suite, le renouvellement s’imposa de plus en plus.
En 1994-1995, l’avis de l’Institut royal du patrimoine artistique et de l’Institut supérieur de peinture décorative Vanderkeelen furent sollicités. Les enduits anciens présentaient un travail de peinture à l’huile dont le fond rouge-brun était recouvert d’un glacis satiné et veiné de blanc. L’état général montrait des zones de non adhérence manifeste et un écaillement des glacis.
Le travail de restauration commença en 1996, après essais. La préparation des fonds fut réalisée par l’entreprise mais elle nécessita une intervention beaucoup plus importante que prévue, vu l’état de délabrement des enduits. Le décapage et le réenduisage s’appliquèrent à la quasi-totalité de la surface. La restauration et, principalement, la recréation des faux marbres proprement dits furent confiées à Jean-Louis Grand, peintre en décor (Paris) issu de l’école Vanderkeelen. Sa mission consista à restituer les faux marbres à l’identique, sur base des rares témoins encore en place et dont on maintint un exemple derrière l’autel, de quelque 90cm x 80 cm. L’ensemble fut panneauté comme à l’origine.Les nombreuses phases du travail visèrent à donner profondeur à la surface, principalement par la succession des couches transparentes des glacis, avant le travail du veinage proprement dit. Le travail, remarquablement réalisé, donne aujourd’hui la parfaite illusion d’un ensemble entièrement en marbre.
L’enduit, ou l’illusion du tuffeau de Maastricht
L’intérieur de l’église, contrairement à l’extérieur, est construit en briques recouvertes dès l’origine d’un enduit imitant le tuffeau de Maastricht, avec de faux joints. Des témoins en furent retrouvés par le chanoine André Lanotte, membre de la CRMSF, qui signale dans une note du 9 janvier 1980 : « Les témoins relevés lors de la restauration du confessionnal incendié [le premier à droite près du chœur, incendié en 1969] montrent que dès l’origine un joint tracé à main libre a imité la pierre de taille naturelle de Maastricht. Ce procédé sera maintenu et réalisé à la peinture. ».
Lors de la pose d’échafaudages en 1992, un travail similaire, ancien sinon original, fut également enregistré entre les fenêtres hautes de la nef. Un reste d’enduit permit d’y relever au moins quatre couches de badigeon à la chaux variant du blanc, beige ton « tuffeau de Maastricht », gris-bleu et jaune verdâtre avec de faux joints grossiers légèrement plus clairs.
L’imitation de la pierre ou de la brique sur un enduit est une pratique courante depuis très longtemps, à l’intérieur comme à l’extérieur des constructions, et se perpétua jusqu’à la première moitié du XXe siècle.
La restauration de l’église Saint-Loup nécessita le décapage de l’ensemble des enduits atteints notamment par la mérule, quand bien même leur restauration avait été prévue dans le cahier des charges de 1977. Les nouveaux enduits à base de chaux et poils de vache, de composition traditionnelle, devront recevoir « deux couches de finition de peinture synthétique mat en imitation de pierres blanches appareillées ».
En 1992, de nombreux essais furent réalisés afin de mettre au point une technique « rapide » d’imitation de tuffeau de Maastricht, tant pour la tonalité des fonds, pour la patine que pour les faux joints, technique malheureusement perdue depuis longtemps dans le métier de peintre. Par ailleurs, l’ampleur des surfaces à traiter (tous les murs intérieurs de l’église), et les contraintes du cahier des charges de 1977, ne permettaient pas financièrement de faire appel à un peintre spécialisé en décor, comme on le fit pour l’imitation de marbre du chœur. L’entreprise, en fin de compte, fit appel à un peintre d’origine italienne, Monsieur Ortolano de Liège, qui réalisa avec adresse le faux appareillage des hautes nefs à base de chaux et de pigments de terre. Le travail sur les bas-côtés fut réalisé en 1995 sur cette même base, par un autre artisan.
L’adoption de la peinture à la chaux, plutôt qu’une peinture synthétique prévue en 1977, entraîna des difficultés de mise en œuvre dues à la perte des savoir-faire. L’entrepreneur fait alors remarquer que la peinture à la chaux entraîne « un temps de séchage plus pointu, l’impossibilité de préfabrication du ton, d’où préparation par petite quantité, dosage et malaxage perpétuel ». En outre, la réalisation de faux joints « à main libre » s’étant, cette fois, avérée peu convaincante, il fut concédé de travailler « en épargne », c’est-à-dire de préparer le travail de faux joints sur la surface blanche, en déroulant de fines bandes de rubans adhésifs toilés qui « réserveraient » le tracé des joints lors de la pose du fond coloré et du délicat travail de patine.
Extrait de Thérèse CORTEMBOS, Sophie DENOEL, Alain de WINIWARTER et Robert LAMBERT, L’église Saint-Loup à Namur, Carnets du Patrimoine n°125, éd. Institut du patrimoine wallon, 2014.