Existe-t-il une « architecture jésuite »?

La formule s’entend si volontiers, même à propos d’églises non jésuites (!), qu’on pourrait la croire fondée. Faux. Pour deux bonnes raisons au moins.

D’une part, les maîtres d’œuvre de la Compagnie, normalement issu du terroir, ont tendance à concevoir dans les termes de leurs sensibilités autochtones. Ainsi en va-t-il exactement des frères jésuites Du Blocq et Hoeymacker jusqu’autour de 1600-1610. Du reste, les jésuites raisonnent avec pragmatisme et ne cherchent pas à bouleverser les coutumes constructives des endroits où ils s’implantent. Ils s’y adaptent. Et ils utilisent les matériaux locaux, avec leurs contraintes particulières. D’autres ordres religieux et d’autres commanditaires bâtissent simultanément dans les mêmes formes.

D’autre part, le bureau du « réviseur » près le généralat romain contrôle tous les projets de construction de l’ordre, qui doivent lui être soumis impérativement ; il les accepte ou les refuse.

Or, à l’encontre de ce qui aurait pu se produire, il se montre à nouveau fort attentif aux besoins et aux manières du cru; il va jusqu’à les imposer s’il le juge bon; il ne fixe aucun modèle de référence, même pas celui du gesu à Rome. Le modo nostro (« à notre manière ») renvoie dans les faits à d’autres préoccupations cultuelles.

Aussi les jésuites ne sont-ils pas de fervents zélateurs, encore moins des « missionnaires » du premier art baroque. Ils accompagnent le mouvement, l’apprécient bientôt et l’exploitent quand ils sentent qu’il convient localement à leur ministère et à leur culture du spectacle. Bref, ils contribuent certes à l’essor du baroque, mais ne le provoquent pas et ne le revendiquent pas plus que d’autres. Dans la suite, ils changeront d’ailleurs avec l’évolution des modes.

Il n’y a donc pas une « architecture jésuite », mais chez nous des églises, notamment jésuites, d’architecture ou de style baroque, au XVIIe siècle.

 

Extrait de : « Olivier BERCKMANS et Luc Francis GENICOT, l’église St-Loup et l’athénée royal de Namur. L’ancienne église Saint-Ignace et le collège des jésuites, éd. Ville de Namur, Namur, s.d. (vers 2001).